Dans quelle mesure un groupement foncier agricole (GFA) peut être propriétaire d’immeubles affectés à une activité touristique ? Est-il possible d’envisager cette situation sans risquer la remise en cause de l’exonération partielle des droits de donation ou de succession prévue par l’article 793 du CGI (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-30) suite à la transmission à titre des parts sociales du groupement ? Quel est le régime fiscal applicable aux recettes provenant de ces locations ?
Ces questions peuvent faire l’objet d’un examen sous l’angle de trois hypothèses principales distinctes :
– le GFA loue les immeubles dans le cadre d’un bail rural à long terme portant sur l’ensemble d’une exploitation agricole auprès d’un exploitant fermier qui procède à l’activité touristique (a) ;
– le GFA loue les bâtiments nus en dehors du bail à long terme à un tiers qui réalise les locations auprès des clients (b) ;
– le GFA procède directement à la location des bâtiments notamment en tant que gîte rural auprès des clients (c).
a. Location par un GFA de bâtiments dans le cadre d’un bail rural à long terme à un fermier réalisant des activités touristiques
Sur le principe, la sous-location d’une partie des bâtiments d’habitation en tant que gîtes ruraux par le fermier apparaît compatible avec le dispositif d’exonération des droits de succession ou de donation, dès lors que le locataire a respecté la procédure d’autorisation prévue par l’article L. 411-35 du code rural. Interrogé par un parlementaire sur ce point, le ministère du Budget avait reconnu que le preneur d’un bail à long terme peut être autorisé par le bailleur à réaliser des sous-locations pour un usage de vacances ou de loisirs en vertu de l’article L. 411-35 du code rural, s’agissant expressément de biens loués par un GFA (RM Descamps, JOAN 20/12/1993, n° 5755). La réponse ministérielle précitée s’empresse toutefois de mentionner que les recettes de cette activité de sous-location ne doivent pas excéder la limite de l’article 52 ter du CGI dont le montant était de 150 000 francs pour ne pas remettre en cause le régime d’exonération partielle des droits de succession ou de donation.
Tout d’abord, il faut rappeler que cet article a été abrogé par la loi de finances pour 2000 qui a procédé à l’extension du régime des micro-entreprises. De ce fait, cette limite de 150 000 francs n’existe plus. De plus, aucune disposition législative ne fonde l’application d’une limite particulière de recettes des activités en question pour prétendre aux bénéfices de l’exonération partielle des droits de succession ou de donation portant sur les parts de GFA. Il est à noter que l’administration avait antérieurement admis l’exercice de ces activités sans restriction particulière (RM Geoffroy, JO Sénat 10/02/1983, n° 9381).
L’ensemble de ces précisions ne semble pas avoir été repris par le BOFIP.
Cela étant, il est vrai que l’exercice d’une activité de diversification agritouristique qui deviendrait prépondérante par rapport aux activités de production animale et végétale n’est pas sans susciter d’interrogations sur l’application du régime d’exonération des droits d’enregistrement en principe réservé aux immeubles affectés aux activités de production animale et végétale.
Dans quelle mesure ce régime est compatible avec l’exercice d’activités qui juridiquement sont reconnues par le statut du fermage mais qui sur le plan fiscal génèrent des recettes commerciales ? Toutefois, est-il fondé de sanctionner les personnes titulaires des parts sociales de GFA en raison des initiatives économiques du fermier qui a développé l’exercice d’activités touristiques a priori compatibles avec le statut du fermage ?
Par ailleurs, est-ce qu’un GFA peut procéder aux dépenses d’aménagements des biens sous-loués à des fins touristiques par le fermier sans risquer la remise en cause de l’exonération partielle ? Sur ce point, les commentaires de l’administration fiscale précise que l’exonération ne peut s’appliquer que si le patrimoine du groupement ne comprend que des immeubles à destination agricole et si la totalité de ceux-ci sont donnés à bail à long terme (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-30).
Vu l’importance des dépenses qui peuvent parfois être réalisées pour procéder à l’aménagement des gîtes ruraux, ne risque-t-on pas une remise en cause de l’exonération partielle des droits de succession ou de donation ? Faut-il faire prévaloir la nature commerciale des recettes fiscales perçues ou tenir compte de la compatibilité de l’activité avec le statut du fermage ?
Sans pouvoir préciser les limites du dispositif, il convient certainement d’être prudent sur la mise en œuvre du mécanisme d’exonération des droits de succession ou de donation dès lors que le bailleur est impliqué dans la mise en oeuvre des activités touristiques, soit par la délivrance d’une autorisation, soit par le financement des investissements.
b. Location par le GFA de bâtiments nus à un tiers en dehors du bail à long terme qui réalise les locations auprès des clients
Sur le plan juridique, l’article L. 322-6 du code rural précise que le GFA a pour objet soit la création ou la conservation d’une ou plusieurs exploitations agricoles, soit l’une ou l’autre de ces opérations. Faut-il exiger que l’objet se limite à la propriété d’immeubles agricoles ? Peut-on envisager que le GFA possède d’autres immeubles non affectés à l’activité agricole loués en dehors d’un bail rural à long terme ?
Sur le plan fiscal, le principe est que l’exonération partielle ne peut être mise en œuvre qu’à la condition que les immeubles agricoles font l’objet d’un bail rural à long terme. Ce principe fait l’objet d’une application stricte par la jurisprudence de la Cour de cassation qui a ainsi jugé que le défaut de location par bail à long terme d’une partie des immeubles agricoles entraîne une remise en cause du bénéfice de l’exonération partielle (Cass. com. 30/06/1992, RJF 10/1992, n° 1435).
Cela étant, l’administration fait preuve d’une certaine souplesse en précisant que la fraction de la valeur des parts de GFA, qui correspond à d’autres biens que ceux qui sont affectés à une activité agricole, est soumise aux droits de mutation à titre gratuit dans les conditions de droit commun. Sont notamment concernés les immeubles qui ne sont pas utilisés pour les besoins de l’exploitation agricole, les valeurs mobilières (actions, obligations, titres de placement divers, …), les stocks qui ne peuvent être considérés comme des immeubles agricoles par destination (Cass. civ. 1re, 01/12/1976), les créances diverses, telles celles détenues sur les clients, les encaisses en numéraire (BOI-ENR-DMTG-10-20-30-30, n° 310).
Par déduction, il semble admis qu’un GFA puisse être propriétaire d’immeubles non agricoles non loués par bail à long terme sans que cette situation ne remette en cause le bénéfice de l’exonération partielle des droits de succession ou de donation. Force est de reconnaître que les commentaires de l’administration fiscale ne sont pas forcément aussi explicites sur cette solution. Sous réserve de confirmation de cette solution, l’exonération partielle doit dans ce cas être limitée à la portion de la valeur des parts sociales correspondant à la valeur des biens immobiliers agricoles loués par bail à long terme. Au titre des locations d’immeubles non agricoles, le GFA perçoit des revenus fonciers dès lors que les locations portent sur des immeubles nus.
c. Location directe par un GFA de bâtiments en tant que gîte rural auprès de clients
Sur le plan juridique, il est permis de s’interroger sur le point de savoir si ce type de locations est compatible avec l’activité d’un GFA dont l’objet est la création ou la conservation d’une ou plusieurs exploitations agricoles (art. L. 322-6 du code rural). Peut-on admettre que ce groupement ne limite pas exclusivement son objet à la détention d’immeubles agricoles ? Cette solution nécessiterait que la location de gîtes ruraux constitue juridiquement une activité civile. Cette qualification supposerait que les prestations parahôtelières soient limitées.
Cela étant, le même doute subsiste sur l’absence de risque de remise en cause du régime d’exonération des droits d’enregistrement en présence d’immeubles non agricoles. Sous réserve de la validation de cette hypothèse, cette situation conduirait à circonscrire le bénéfice de l’exonération partielle des droits de succession ou de donation à la seule valeur des immeubles agricoles donnés en location par bail à long terme, à l’exclusion des biens loués en tant que gîtes ruraux.
Il est à noter que sur le plan fiscal, le GFA perçoit dans cette hypothèse des recettes de nature commerciale au titre des locations meublées comme tout loueur de meublés alors même que juridiquement il s’agit d’une activité civile. Cette situation a pour conséquence d’entraîner l’application du régime de l’impôt sur les sociétés en lieu et place de l’impôt sur le revenu et de la déclaration par chaque associé de revenus fonciers. Cela étant, le régime de l’impôt sur les sociétés n’apparaît pas incompatible avec le régime de faveur des droits de mutation à titre gratuit.
Les commentaires de l’administration fiscale précisent toutefois que pour éviter les conséquences excessives de la taxation des sociétés civiles à l’impôt sur les sociétés, il a été décidé de ne pas soumettre ces sociétés à ce régime d’imposition des bénéfices tant que le montant hors taxes de leurs recettes de nature commerciale n’excède pas 10 % du montant de leurs recettes totales hors taxes (BOI-IS-CHAMP-10-30). Dans cette hypothèse, il ne saurait être fait application des limites de rattachement de 100 000 € et de 50 % des recettes agricoles telles que formulées par les articles 75 et 206-2 du CGI qui ne visent que les sociétés qui exercent une activité agricole entendue au sens fiscal.
Cette tolérance fiscale conduit à s’interroger sur les modalités d’imposition des recettes commerciales perçues en deçà de la limite de 10 %. Peut-on envisager de déclarer les recettes commerciales dans le cadre du régime d’imposition des revenus fonciers ? Aucune disposition ne semble l’envisager. Le régime des micro-entreprises est bien évidemment exclu puisque ce dernier ne peut être mis en œuvre que par les seules personnes physiques à l’exclusion de toute personne morale (sauf les EURL dont l’associé unique est une personne physique). Dans ces conditions, il apparaîtrait nécessaire de faire application d’un régime réel des bénéfices industriels et commerciaux à l’instar des sociétés agricoles au micro-BA qui perçoivent des recettes commerciales en dessous des limites de 100 000 € et de 50 % des recettes agricoles.
A l’évidence, la présence de biens immobiliers affectés à une activité touristique au sein d’un GFA n’est pas sans soulever de questions et les réponses sont loin d’être certaines pour affirmer que l’exonération partielle des droits de succession ou de donation ne risque pas de remise en cause. Dans ces conditions, afin de prévenir tout risque de remise en cause de ce régime d’exonération, il peut être préférable d’extraire les biens des GFA concernés pour éventuellement organiser leur détention dans le cadre d’une société civile immobilière (SCI).