69. Indivision et locations de meublés de tourisme : micro-BIC ou réel BIC ?

Dans certaines situations, les biens immobiliers qui servent aux locations meublées sont détenus par plusieurs personnes physiques qui ont décidé ne pas mettre en place de société pour réaliser l’activité de locations. Sur le plan juridique, il s’agit dans ce cas d’une indivision régie par les dispositions du code civil avec sans convention d’indivision (art. 815 et s. du code civil ; art. 1873-1 et s. du code civil). Sur le plan fiscal, il convient de déterminer le régime d’imposition des bénéfices applicable alors que les coïndivisaires souhaitent partager le résultat de l’activité de locations meublées sans procéder à la création d’une société immobilière ou commerciale. En clair, le régime du micro-BIC est-il applicable par les différents coïndivisaires ou faut-il faire application d’un régime réel BIC au niveau de l’indivision avec une imposition personnelle de chacun des coïndivisaires sur sa part de résultat ?

1. Rappels préalables

En préambule, cette hypothèse d’indivision peut concerner de nombreux cas tels des époux mariés sous le régime de la séparation de biens qui détiennent ensemble certains biens immobiliers. Il peut aussi s’agir de couples ayant conclu un PACS ou en situation de concubinage ayant procédé à une acquisition en commun. Il peut également s’agir de cohéritiers après une transmission par succession sans partage en raison du décès des personnes initialement propriétaires.

Rappelons que la location de logements meublés de tourisme entraîne la perception de recettes commerciales pour lesquelles il faut faire application d’un régime d’imposition des bénéfices afin de déterminer le revenu imposable à partir des recettes brutes perçues. A ce titre, les personnes physiques soumises au régime de l’impôt sur le revenu disposent en principe du choix entre deux solutions  comprenant :

– soit le régime simplifié du micro-BIC applicable jusqu’à 188 700 € de recettes annuelles avec la mise en œuvre d’un abattement forfaitaire de 71 % (s’agissant des meublés de tourisme classés avec étoiles) (ou jusqu’à 77 700 € et un abattement de 50 % pour les meublés non classés sans étoiles). Pour mémoire, ces plafonds de recettes et ces abattements sont en cours de révision à la baisse ;

– soit le régime réel BIC qui repose sur la tenue d’une comptabilité en partie double avec la production d’un bilan et d’un compte de résultat, régime mis en œuvre par option ou de façon impérative.

2. Cas d’exclusion du régime du micro-BIC

Dans certaines situations, le régime du micro-BIC est exclu, quand bien même les recettes annuelles sont inférieures aux seuils précités. A ce titre, les commentaires de l’administration fiscale précisent en ces termes : les sociétés ou organismes soumis au régime fiscal des sociétés de personnes, notamment les sociétés de fait et les indivisions, ne peuvent pas, sauf exception, bénéficier du régime micro-BIC.

Dans ce cas, le résultat provenant de l’exploitation d’un tel fonds doit être déterminé selon un régime réel d’imposition (BOI-BIC-DECLA-10-10-20, § 80). Cette solution résulte de l’article 50-0 du CGI qui détermine le régime du micro-BIC en excluant expressément les sociétés de ce mode d’imposition (sauf les EURL).

Il convient d’examiner plus particulièrement la situation des personnes détenant un bien en indivision et partageant le revenu qui sont justement visées par cette solution d’exclusion du micro-BIC.

Sur ce point, il importe d’examiner la jurisprudence des juridictions compétentes afin d’apprécier si la position administrative est valablement fondée.

3. Illustrations jurisprudentielles

a. Arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux

Un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux en date du 19 octobre 2021 tranche la situation de de deux époux détenant plusieurs logements meublés en indivision (CAA Bordeaux, 19/10/2021, n° 19BX04893).

Plus précisément, les contribuables concernés, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis, en indivision à parts égales, un studio et trois maisons qu’ils avaient donnés en location meublée. A ce titre, les intéressés déclaraient chacun la moitié des recettes tirés de cette activité au titre de l’impôt sur le revenu. Avant le contrôle fiscal, les intéressés faisaient application du régime fiscal du micro-BIC.

A l’issue du contrôle, l’administration a estimé que l’activité de location des logements meublés détenus en indivision et exercée par le couple était menée dans le cadre d’une société de fait, formule exclue du micro-BIC.

La Cour administrative d’appel a débouté les contribuables, qui contestaient le redressement notifié, en estimant que l’administration avait démontré que les époux exerçaient l’activité de loueurs de biens immobiliers meublés sous la forme d’une société créée de fait. Dans ces conditions, il devait être considéré que les bénéfices tirés de cette activité devaient être imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux selon le régime réel simplifié entre les mains de chaque associé, au prorata des parts détenues au sein de la société.

La particularité d’une société de fait est que celle-ci existe sur le plan fiscal sans avoir accompli quelque formalité pour la création d’une société, puisque par définition une société de fait correspond à la situation de personnes qui se comportent de fait comme si elles étaient en société de droit.

Sur ce point, il convient certainement de distinguer la situation d’indivision et la situation de société de fait. La simple situation d’indivision n’est pas forcément exclusive du micro-BIC, contrairement à ce que semble affirmer l’administration fiscale.

Comme le précise les juges de la Cour administrative, l’obligation d’être au réel BIC doit correspondre à la situation d’une société de fait qui doit comprendre le cumul des critères suivants : participation de chacun de ses membres à la fois aux apports, à la gestion de l’entreprise et aux bénéfices ou aux pertes de cette dernière.

Comme le rappelle le Conseil d’Etat : « la jurisprudence marque une nette distinction entre le régime fiscal de l’indivision et celui des sociétés de personnes ou de fait. Toute indivision n’est pas constitutive d’une société de fait (Conclusions du rapporteur public, CE (na) 9 ch. 29/7/2020 n° 436402, RJF 2020 C 866).

Autrement dit, un bien en indivision et exploité par un seul coïndivisaire n’est pas forcément incompatible avec le régime du micro-BIC.

Cette solution rejoint les commentaires de l’administration qui précise en ces termes : « il est admis qu’un fonds de commerce indivis entre deux époux puisse, pour l’application du régime micro-BIC, être réputé exploité personnellement par celui des deux époux qui est immatriculé au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers à raison de ce fonds ; l’époux concerné peut donc bénéficier du régime micro-BIC pour le fonds en cause si son chiffre d’affaires global annuel de l’année civile précédente ou de la pénultième année civile réalisé dans ce fonds et dans les fonds qu’il détient en nom propre, n’excède pas les seuils déjà cités ».

b. Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris

Selon un autre arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, deux époux qui exerçait une activité de concession de licence de marque commerciale exploitée par l’indivision existant entre les époux se sont également vu écarter du régime du micro-BIC pour devoir faire application du régime réel BIC (CAA de PARIS, 7ème chambre, 01/10/2019, 18PA00808).

Pour fonder l’exclusion du régime du micro-BIC, les juges ont retenu le fait que le montant total des recettes excédait la limite d’application du régime du micro. Cette décision a été confirmée par un arrêt du Conseil d’Etat (CE (na) 9e ch. 29-7-2020 n° 436402).

Certains commentateurs en concluent que si les recettes totales n’avaient pas dépassé le plafond du régime d’imposition simplifié, le régime du micro aurait été applicable. Ce raisonnement a contrario est délicat à manier. De notre point de vue, il est difficile de tirer une conclusion d’une décision qui est loin d’être aussi explicite.

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